GP D’ARAGON
Aegerter est le nouveau héros

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Pilotes (dont Dominique Aegerter qui porte une photo avec un message), managers, gens de médias ont tous observé une minute de silence à la mémoire de Shoya Tomizawa, dont la moto avait été placée au premier rang.
Pour la première fois de sa carrière en GP, Thomas Lüthi est battu à la régulière par un de ses compatriotes. Domi, le voisin de Rohrbach, le copain de Shoya Tomizawa, est passé par là.
Jean-Claude Schertenleib - le 19 septembre 2010, 21h41
Le Matin
Une gueule d’ange sur un corps de bûcheron, façonné à la dure école du motocross. Une crinière blonde qu’il sacrifiera à son premier podium en GP. Bientôt. L’insouciance des gens de son âge – 20 ans, le 30 septembre prochain – a été balayée de façon dramatique, en quelques fractions de seconde; c’était il y a deux semaines, sur le circuit de Misano, lorsque son équipier, son copain Shoya Tomizawa, est tombé en pleine course. Et qu’il ne s’est jamais relevé. Un choc terrible pour tous, particulièrement pour Dominique Aegerter et ses proches, qui ont immédiatement décidé de poursuivre l’aventure. Parce que Shoya l’aurait voulu: «Et ce que j’ai fait aujourd’hui, je l’ai fait pour lui», avoue Aegerter, dont le regard souriant qu’il affichait en ramenant sa moto dans son stand, au terme d’une course formidable qu’il a terminée au septième rang, s’est soudainement tendu.
Shoya est bien là, autour de lui, autour d’eux. Dans ce stand du team Technomag-CIP, où les larmes de joie remplacent maintenant les larmes de douleur, on se congratule: «Ce qu’il a fait aujourd’hui, c’est très fort. C’est la preuve que son mental est extrêmement solide. On ne va pas s’emporter, bien sûr, car il y aura bientôt des moments plus difficiles, où les images du drame que nous avons vécu reviendront, mais là, chapeau. Je savais que Dominique n’était pas un tricheur, pas un homme à chercher des excuses, je l’ai découvert plus solide que je ne l’imaginais», explique le propriétaire de l’équipe, Alain Bronec, tout juste revenu des obsèques de celui qu’il considérait un peu comme son fils.
Des petits cachottiers
Qu’a-t-il fait de si extraordinaire, Dominique Aegerter, en ce dimanche 19 septembre? Il a obtenu son meilleur résultat personnel dans la catégorie Moto2, c’est une chose. Il a battu Tom Lüthi à la régulière dans le duel des Bernois des GP, c’en est une autre. Mais il a surtout passé par bien des états d’âme. Alain Bronec, encore: «On peut le dire maintenant, mais tout a commencé vendredi soir. Depuis que nous avons pris la décision de continuer, malgré le départ de Shoya, il y a un mot d’ordre chez nous: ne jamais laisser Dominique seul, on doit s’amuser avec lui, l’occuper, pour pas que la gamberge s’immisce. Et l’autre soir, il faisait tellement l’acrobate dans le stand, qu’il a réussi à se déboîter son épaule gauche!» Alerte. Aegerter se rend en marchant vers la clinique mobile, où le Dr Costa et un collègue remettent le membre en place: «La douleur, c’était à crier», explique le héros du jour. Mais la douleur, il sait qu’on peut, qu’on doit l’affronter dans ce métier.
La minute de silence
La mission d’Aragon de Dominique Aegerter ne fait pourtant que commencer. Car avant le premier départ de la journée, les promoteurs du championnat du monde ont voulu dédier une minute de silence à Tomizawa. Pilotes, managers, gens de médias, ils sont tous alignés au milieu de la piste. Au premier rang, juste derrière la moto de l’infortuné pilote japonais, son équipe. Avec Dominique Aegerter, les yeux mouillés, qui porte une photo, un message: «Sayonara, Shoya. Je n’oublierai jamais mon équipier.» Le silence est pesant, l’attente se prolonge jusqu’à l’arrivée de Sa Majesté le Roi Juan Carlos, qui s’installe à son tour, avec sa suite. L’hymne national nippon est joué, les drapeaux avec le soleil rouge sur fond blanc sont mis en berne, Dominique résiste courageusement. Applaudissements, tout le monde reprend ses activités normales. Pour Domi, c’est la préparation pour la course: un départ parfait, un sans-faute, une septième place finale: «Je l’ai fait pour Shoya!» Et il en fera d’autres!