MOTOCYCLISME
Et si la trahison venait de l’intérieur?

Image © Keystone
Hier en Angleterre, Thomas Lüthi a dû batailler à l’arrière, pour la quinzième place, entre Jordi Torres (à g.) et Kew Coghlan.
On rêvait d’un monde idéal, du mariage de raison entre un champion né en Emmental, Thomas Lüthi, et un self-made-man zurichois de la technique, Eskil Suter. Que reste-t-il de tout cela? De la frustration et de la colère.
Jean-Claude Schertenleib - le 12 juin 2011, 23h13
Le Matin
Thomas Lüthi, quinzième du GP de Grande-Bretagne Moto2, à plus d’une minute du vainqueur, l’Allemand Stefan Bradl, leader conforté du championnat du monde. Qu’en mots crus cela est dit. Qu’en chiffres douloureux cela est raconté. Précisions: pour encaisser une telle baffe, Thomas Lüthi n’a pas eu besoin de sortir de la piste, il n’est pas tombé en panne; non, cet écart, ce gouffre, il l’a avalé à la régulière. Et c’est bien là le plus inquiétant. «Vous voulez connaître la seule chose positive de la journée? Dans les derniers tours, je n’ai plus regardé le classement que me montrait mon stand, j’ai juste essayé de retrouver un peu de mon feeling.» Feeling, bonnes sensations, la clé du succès dans cette discipline sans concession. Des ingrédients qui ont totalement disparu du jeu de Thomas Lüthi.
À Estoril, il vole
Comment en est-on arrivé là? Comment, après un début de saison presque parfait, Lüthi a sombré, jusqu’à devoir se battre comme un fou pour sauver le point de la quinzième place, hier, dans la tourmente de Silverstone? «Vous imaginez bien que je réfléchis beaucoup à ce qui se passe depuis quelques semaines, explique-t-il. En fait, tout a commencé au surlendemain du GP du Portugal, à Estoril. Nous avions la piste à disposition pour des essais. Et dans des conditions parfaites, nous avons fait des progrès impressionnants; je roulais confortablement plus vite que la pole du GP, à un point tel qu’en fin de journée, des adversaires sont venus dans notre stand pour s’assurer qu’ils avaient vu les bons chiffres sur leurs chronomètres. Nous sommes repartis d’Estoril le moral au beau fixe. Mais nous avons dû déchanter.»
La Suter n’aime pas les bosses
L’étape suivante, c’est le GP de France, sur le circuit Bugatti, au Mans. Thomas Lüthi y joue un rôle dominant, il est l’un des favoris désignés pour la victoire, lorsque la poisse le rattrape: dans son tour d’entrée en piste, il perd ses plaquettes du frein arrière; il fera malgré tout le vide dans sa tête, pour terminer cinquième. A ce moment de l’histoire, il n’y a aucune raison de remettre en question les choix effectués pendant l’hiver. Mais c’est après que la situation va se gâter: «Nous sommes arrivés en Catalogne et, comme sur tous les circuits où la formule 1 roule également –, le GP d’Espagne s’y était tenu dix jours plus tôt –, nous nous sommes retrouvés sur une piste très bosselée; et là, pour assurer ma place en haut de la hiérarchie, j’ai dû prendre beaucoup de risques. De tout le week-end, nous avons tâté, cherché des solutions, en vain. En course, l’arrière a décroché soudainement. On connaît la suite.»
L'absence qui fâche
Pour la première fois de la saison, Thomas Lüthi et son équipe ont besoin d’aide. Ils sont persuadés de la trouver à Silverstone, encore un de ces tracés très difficile à maîtriser, techniquement. Des bosses, des vagues, des conditions météorologiques changeantes: il y aura de quoi faire. «Nous espérions pouvoir en parler avec Reto Karrer, l’un des hommes de Suter Engeneering qui est mis à notre disposition, mais nous avons été surpris de constater qu’il n’était pas là.» Et pour cause: dépassé par ses différents projets (l’entreprise de Turbenthal équipe 14 pilotes en Moto2, travaille sur un projet MotoGP et un programme complet Moto3), Eskil Suter a gardé ses meilleurs hommes à l’usine.
Commentaire du principal intéressé, atteint au téléphone: «Les teams que nous équipons ont assez d’expérience pour régler ce genre de problèmes.» Réponse d’un client qui paie, via son pilote, Thomas Lüthi: «J’aimerais juste retrouver ma moto. Car pendant tout ce week-end elle n’a jamais fait ce que je lui demandais.» Pire: il apparaît ce matin avéré que certains teams Suter disposent d’un échange d’informations qui n’existe plus avec l’équipe de Thomas Lüthi. On rêvait d’un monde idéal, voilà qu’on se réveille dans une ambiance délétère. Dans une situation qui peut remettre beaucoup de choses en question autour de Lüthi: «Vous parlez de la suite, du projet MotoGP? Cela ne m’intéresse pas pour le moment. Mon manager, Daniel-M. Epp, réfléchit à la classe MotoGP, moi, je ne pense qu’au GP des Pays-Bas, dans dix jours.» Eskil Suter a promis qu’il serait là.